24/12/2007
Dialogue avec Thierry.
Cet indéffectible ami, Thierry GROUSSIN, à l'âme aussi profonde que son esprit est aiguisé (pardon, mon Thierry, pour égratigner ton éternelle modestie...), me posait la question de savoir ce que représentait le blues dans ma vie alors que nos relations ne tournent pas habituellement autour de ça.
Il m'a recueillis quelques propos qu'il a publié sur son blog, on ne peut plus interressant du reste...
En voici le tracé...
« UN MONDE COMME JE ME LE RACONTE... »
Pourquoi, Jean-Marc, le blues a-t-il pris une telle place dans ta vie ?
Les débuts, ou : comment l’esprit vient aux jeunes gens...
C’est une longue histoire et sinueuse… J’ai d’abord été séduit par le chant partagé. Mes frères et soeurs et moi chantions en famille, souvent en nous promenant et toujours à plusieurs voix. On improvisait… Et ce depuis les prières chrétiennes rituelles jusqu’aux divertissements les plus libertins. Puis, je me suis passionné pour les auteurs-compositeurs-interprètes - Hugues Aufray, Adamo, Bob Dylan… - et tout de suite, dès l’age de 14 ans, je me suis mis à écrire mes premières chansons - tout à fait dylanesques. Depuis l’age de 12 ans j’écrivais avec délectation, d’abord des petites nouvelles puis des poèmes. Et puis, j’étais de cette génération qui écoutait les Rolling Stones et toute la culture Rock (le blues boom anglais) et chantait Brassens que nous connaissions par coeur. C’est ça le fondement de ma culture.
De fil en aiguille, je me suis mis à la guitare très tôt (14 ans) puis à la basse (16 ans) puis au saxophone (20 ans) et, après avoir touché à la peinture, à la sculpture et au théâtre, je suis arrivé à Paris pour monter une troupe de théâtre avec un partenaire montalbanais. La troupe fit un flop et je restais sur place comme musicien de cabaret, notamment dans un groupe de blues. Dès lors, j’ai croisé la route de nombreux musiciens tous aussi passionnants et surprenants les uns que les autres. Je traînais dans les milieux du jazz et de l’afro jazz. Le premier milieu m’apporta d’étudier l’harmonie. Le deuxième m’influença définitivement : les rythmes 12/8, les cadences syncopées, l’improvisation spontanée, l’expression absolue et la fonction sociale de la musique… Le film de Scorcese Du Mali au Mississippi montre les liens essentiels qu’il y a entre cette musique et le blues.
Certaines choses se passent dans leur temps à elles

Je n’avais pas cette vision là, bien au contraire. Après un parcours passionnant, nous nous sommes naturellement séparés et je suis revenu à ce qui me paraissait l’essentiel : le blues, une parmi les musiques fondamentales, du moins celle qui a influencé toute la musique occidentale actuelle, depuis le jazz, le Rythm & Blues jusqu’à la variété et même le rap. Il s’agit pour moi à ce moment-là de revenir à l’essentiel de ce qui me porte, au « sacré », soit au fondement.
Une passion en trois dimensions
Aujourd’hui je parle de blues et l’article de mon blog sur la culture blues dit bien mon positionnement. Il s’agit d’une musique créatrice, sociale et thérapeutique. Elle est pour moi sur ces trois niveaux.
Le premier est celui de l’expression. Le blues est comme une prière, un rituel, une pratique qui nécessite une libération par le travail préalable. Il ne faut pas que mon ignorance (ou du moins celle de mes doigts) empêche le fond de la bête de s’exprimer. Il faut pouvoir tendre vers une sorte d’éternuement de l’âme. Une spontanéité quasi sauvage qui traverse la technique acquise pour venir vibrer comme une résonance de l’âme. C’est la dimension de l’art communément partagée. Aussi, je me lève tous les matins assez tôt pour pouvoir jouer au moins une heure avant d’aller bosser. Je travaille des enchaînements, tout ce qui me passe par la tête, tout ce que j’ai envie d’entendre, de jouer. Jo Maka, un saxophoniste d’afrojazz aujourd’hui décédé, me disait : « Joue ce que tu veux jouer, pas ce que tu crois devoir jouer. Joue ce que tu as envie de t’entendre ».

planète, de même que le chamanisme est la religion - la mystique - la plus répandue, la pentatonique est le mode musical le plus répandu, le plus partagé. Elle a partout la même structure et possède les mêmes principes harmoniques. Bizarre, non ? Donc chaque fois que je le peux, je vais à droite à gauche, jouer avec des musiciens ou des non musiciens. Je vais participer à des scènes ouvertes, « taper le boeuf » comme on aime à dire. C’est pour ces partages-là que j’avais créé le Crossroad, club de blues à Issy-les-Moulineaux. Je rêve de parcourir le monde avec ma gratte et de jouer avec toute âme qui vive. J’aurais été heureux de jouer un jour avec un personnage comme Ali Farka Touré (musicien malien aujourd’hui décédé. Son fils, Vieux Farka Touré, continue son oeuvre). Quelle dimension, ce type…
La troisième dimension est celle de la thérapie ou du développement personnel. Quand Castaneda, cet étudiant californien en ethnologie, demande à Don Juan, sorcier Yaki « Parle- moi du peyotl », celui-ci lui répond : « Je ne peux pas t’en parler. Le peyotl est une voie vers la sagesse. Il y en a plein. Il y a la musique, la danse… Moi je connais celle-là. Je ne peux pas t’en parler mais je peux t’initier ». Je ressens la même chose pour le blues. (Je commence à envisager de faire, autour du blues, de l’arthérapie dans des pratiques de développement personnel.)
Une pratique de l’ici et du maintenant

L’idée dans cette troisième dimension n’est donc pas de faire le montreur d’ours, de faire démonstration de technique (bien que des jazzmen l’aient fait, comme Charlie Parker, à de simples fins de compétitions ludiques) mais bien de laisser parler son coeur pour qu’il aille mieux. Un jour la fille de John Lee Hoocker, Zakiya Hooker, lui demandait : « Daddy, pourquoi tu mets des lunettes de soleil quand tu joues ? ». Il lui répondit - c’est du moins ce qu’elle rapporte: « Je n’aimerais pas que les gens me voient pleurer… ». Le blues est à ce point - parce que pratique de l’immédiat, parce qu’il n’a rien d’autre à faire, une célébration cathartique - qu’il m’apparaît comme emblématique de cette fonction-là de la musique. Alors, même si mon blues est entaché de Brassens, Ferré et autre Barbara, il est bien du blues… Donc je raconte des histoires qui m’ont touché : la mort de mon frère en deltaplane, les morts de copains et copines de cancers, des échecs professionnels, des histoires dures de personnes croisées, des situations cocasses, des aventures scabreuses, etc…
Alors pourquoi le blues à pris tant de place dans ma vie, et bien voilà, pour toutes ces raisons.
Choisir un « song », c’est en citer mille
S’il fallait que je fasse un choix ?... J’aurais du mal… J’ai quelques chansons fétiches comme « Further on up the road » ou le « Crossroad » et le « Sweet Home Chicago » de Robert Johnson. Ce sont des standards que tout le monde reprend à l’occasion.

Ce n’est pas une chanson qui peu émouvoir bluesement parlant, mais un moment magique où quelques musicos se laissent traverser par un morceau … Il y a d’ailleurs cette interprétation par Buddy Guy (et aussi par Stevie Ray Vaughan) d’une comptine pour enfant, pas du tout blues pour deux rond : « Mary had a little lamb ».
Merci Thierry de m’avoir donné l’occasion de partager ce monde « comment je me le raconte »…
16:45 Publié dans Des mots sur le blues | Lien permanent | Commentaires (0)
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